
1. DE QUOI PARLE-T-ON ? QUELQUES DÉFINITIONS
1.1 Les sciences cognitives
« …sont définies comme un ensemble de disciplines scientifiques visant à l’étude et à la compréhension des mécanismes de la pensée humaine, animale ou artificielle, et plus généralement de tout système cognitif, c’est-à-dire tout système complexe de traitement de l’information capable d’acquérir, de conserver et de transmettre des connaissances. Elles reposent donc sur l’étude et la modélisation de phénomènes aussi divers que la perception, l’intelligence, le langage, le calcul, le raisonnement ou même la conscience. »(Centre d’analyse stratégique, 2010)
Ce sont des sciences jeunes, un demi-siècle tout au plus, à la jonction des neurosciences, de la psychologie, de la linguistique et de l’intelligence artificielle qui ont connu un essor considérable grâce au développement des sciences et technologies du numérique.
1.2 La psychologie cognitive étudie le fonctionnement de l’esprit, les fonctions mentales, telles que l’attention, le langage, la mémoire, la perception, le raisonnement, la résolution de problèmes, l’intelligence, la perception, la créativité ou l’attention.
1.3 Les neurosciences étudient le fonctionnement du système nerveux à toutes les échelles : moléculaires, cellulaires et synaptiques mais aussi comportementales et cognitives.
1.4 La neuroéducation une discipline émergente, qui s’intéresse aux stratégies et méthodes d’enseignement, à partir des découvertes scientifiques sur la mémoire, le langage et l’apprentissage.
Cette discipline se fonde sur 3 découvertes majeures de la fin du XXe siècle (synthétisées en 2014 par Steve Masson).
- L’apprentissage modifie l’architecture du cerveau
- L’architecture du cerveau à un instant donné influence et contraint les apprentissages
- L’enseignement et les pratiques pédagogiques influencent les effets de l’apprentissage sur le cerveau des élèves
2. UN PROJET DE RECHERCHE-ACTION
« Un travail collaboratif de type « recherche-action » a été engagé en 2017-2018 et poursuivi en 2018-2019. Les professeurs du groupe de travail accompagnés par Emmanuel AHR, docteur en psychologie, ont tenté d’évaluer le plus rigoureusement possible l’efficience de certaines pratiques de classe inspirées des connaissances issues des sciences cognitives au sens large. »
Emmanuel AHR docteur en psychologie cognitive, actuellement conseiller pédagogique à l’université de Besançon, dans le cadre de son post-doctorat en 2017-2018 à l’institut Villebon-Georges Charpak a proposé un protocole que les enseignants du groupe ont mis en œuvre contribuant peu à peu à l’affiner. Nommé EVA, il s’applique à n’importe quelle pratique pédagogique nouvelle dont on veut évaluer la pertinence par rapport à une pratique pédagogique habituelle.
Le principe général est le suivant :
- Choisir un objectif d’apprentissage clair, bien cerné (connaissance, compétence, capacité, comportement,…)
- Constituer deux groupes d’élèves dont on va comparer les performances par rapport à cet objectif d’apprentissage : un groupe « test » soumis à la pratique nouvelle et un groupe « contrôle » dont les membres reçoivent la pratique habituelle.
- Construire 3 évaluations que l’on nommera : Pré-Test, Post test immédiat (PTI) pour mesurer l’impact immédiat de la pratique, Post test différé (PTD) pour mesurer « l’oubli » ou la stabilité des acquis au cours du temps. Ces trois évaluations, sans être exactement identiques, évaluent le même objectif d’apprentissage, celui que l’on a choisi, à trois temps différents.
CHRONOLOGIE
C’est la comparaison de la performance des deux groupes aux post-tests qui permet de dire si la pratique nouvelle a eu, ou non, un impact sur les apprentissages par rapport à la pratique habituelle.
Attention aux interprétations et généralisations hâtives.
En pédagogie, on travaille avec de l’humain. Ce qui semble avoir fonctionné au temps T dans un contexte donné n’est pas nécessairement reproductible dans un autre contexte, avec un autre type d’élèves.
Nous présentons ici des exemples d’utilisation du protocole EVA, et quelques résultats obtenus. Cela ne doit certainement pas être considéré comme des résultats généralisables dans d’autres contextes. Aucune de nos conclusions n’est suffisamment étayée pour permettre de tirer une conclusion générale sur l’efficience de telle ou telle pratique pour mieux faire apprendre les élèves (les groupes d’élèves sont restreints, les durées pour réaliser les tests souvent courtes…). Si un résultat vous intéresse, nous vous engageons à tester la pratique nouvelle en appliquant le protocole EVA dans votre contexte.
Toutes les recherches-actions présentées ici ont été réalisées avec une version de travail d’EVA. Grâce aux retours des enseignants, une version stable est maintenant disponible http://www.villebon-charpak.fr/laboratoire-pedagogique/evaluation-des-pratiques .
EVA est une procédure de recherche-action inspirée par les protocoles de la recherche expérimentale et adaptée à l’enseignement. Elle est utilisable en toute autonomie par des enseignants qui se demandent si une nouvelle pratique pédagogique qu’ils ont élaborée est effectivement plus efficace que leur pratique habituelle. Sa prise en main nécessite moins d’une journée et peut se faire seule ou accompagnée par d’autres utilisateurs.
La difficulté pour les utilisateurs est uniquement d’ordre pédagogique : ciblage d’un objectif d’apprentissage pertinent, élaboration de 3 tests signifiants pour évaluer l’atteinte de cet objectif, constitution des groupes d’élèves, gestion temporelle des différents temps d’apprentissages et de tests…
Les enseignants ayant testé EVA (dans le second degré mais aussi dans le supérieur) souhaitent le réutiliser pour continuer d’améliorer leurs pratiques pédagogiques ce qui nous laisse à penser que cette méthodologie est un bon compromis entre rigueur méthodologique et utilisabilité dans la pratique quotidienne.
Les exemples d’utilisation présentés ici montrent qu’EVA atteint ses objectifs. L’enseignant obtient des résultats chiffrés qui l’aident à décider s’il doit maintenir en l’état ou non sa nouvelle pratique pédagogique. De plus, EVA ancre l’enseignant dans une posture réflexive : quels sont les problèmes que je rencontre, comment puis-je les résoudre, puis-je améliorer ma pratique en termes d’efficacité, d’efforts à fournir, de bien-être, quelles sont les conditions nécessaires à l’efficacité de ma pratique ?
Enfin, EVA est un projet collaboratif incitant les enseignants à s’inspirer les uns des autres et s’entraider, tout en reconnaissant leurs différences.
Pour aller plus loin, voir le dossier « sciences cognitives et éducation » dans le magasine La Recherche N° 539, septembre 2018, notamment l’article : Du labo à l’école : le délicat passage à l’échelle (Edouard Gentaz, université de Genève, CNRS)
Les propos « positifs »
- Suivre le protocole EVA a suscité chez moi l’envie de faire, d’innover.
- EVA m’a permis de trouver des réponses à des questions que je me posais depuis fort longtemps.
- J’ai pu prendre du recul sur mes pratiques, en les interrogeant.
- J’ai progressé dans mes pratiques d’évaluation qui étaient, je m’en rends compte maintenant, maladroites auparavant. Je suis plus objective, mes résultats d’évaluations ont plus de sens.
- Ma posture d’enseignante a évolué, donc nécessairement cela a impacté les acquis des élèves. Désormais, quand je prépare un cours je pense EVA et ce cours est plus rigoureusement construit.
- Je pratique maintenant des pré-tests, des post-tests immédiats et des post-tests différés régulièrement en impliquant les élèves, en leur expliquant l’intérêt de ces tests pour ancrer les apprentissages… Ils adhèrent car ils comprennent à chaque cours ce que j’attends d’eux.
- Je n’aurais jamais pensé à faire un test différé auparavant … Je mesure désormais tout l’intérêt de cette façon de faire qui permet de savoir si un nouvel apprentissage a été efficace, bien ancré, car il persiste sur le long terme ou bien s’il est rapidement oublié par les élèves.
- L’évaluation de l’impact des pratiques innovantes, selon un protocole rigoureux, nous incite à être nous-mêmes plus rigoureux.
Les propos moins positifs… difficultés, réserves
- J’ai eu des scrupules à désigner un groupe « témoin » ne bénéficiant pas de la pratique innovante, lorsque j’étais convaincue de l’intérêt de cette pratique nouvelle. Les élèves du groupe témoin me semblaient lésés ce que j’ai eu du mal à vivre.
- La mise en œuvre du protocole EVA est difficile car elle oblige à bien identifier un objectif précis, à faire le deuil des autres, et à construire des outils d’apprentissages rigoureux, permettant d’évaluer l’atteinte de cet objectif. Cela force à une prise de conscience pédagogique, à une réflexivité fine sur nos pratiques.
- Je ne suis pas parvenue à utiliser EVA car l’objectif que je m’étais fixé n’était pas évaluable par cette méthode (l’effet l’engagement des élèves dans un travail collaboratif, l’appropriation de valeurs enseignées)
- Innover, en suivant le protocole EVA, prend tout son sens si on parvient à travailler en équipe, si on ne reste pas isolé.
3. PROJETS MENÉS, RÉSULTATS ET ANALYSES